L’ORGANISATION DES NEGOCIATIONS

DANS LES RACHATS DE SOCIETES

Septembre 2024

Les praticiens du droit, s’inspirant des anglosaxons, proposent couramment d’encadrer contractuellement les négociations de rachat de sociétés.  Aux noms guère évocateurs, à géométrie variable et à visées disparates, tels sont les lettres d’intention (Letters of intent ou LOI), les Heads of Agreement, les Memoranda of Understanding (MOU), les Term Sheets ou les lettres de procédures dans le cadre d’appel d’offres. Si ces accords de négociation – appelons-les ainsi – n’ont, s’ils sont correctement rédigés, aucun effet contraignant de conclure l’opération de rachat, ils sont en revanche propres à imprimer un tempo au processus de rachat, introduire des stipulations contraignantes et/ou cristalliser les paramètres essentiels de la future opération.

Contrairement au triomphe quasi-absolu du principe de liberté de négociation dans les pays anglosaxons, les articles 1104 et 1112 du Code civil circonscrivent la liberté de négociation des parties à la bonne foi.  Libertés d’entrer en négociation, de rompre les négociations, de négocier en parallèle avec un tiers, quoique fondamentales, se voient ainsi stoppées par l’exigence de bonne foi, à laquelle point de dérogation possible.  On pourrait, dans un tel contexte légal, s’interroger sur la nécessité de conclure des accords préliminaires.  Ceux-ci se révèlent en réalité d’une grande utilité en matière de pourparlers de rachat d’entreprises.

Imprimer un tempo

Les accords de négociation peuvent en premier lieu avoir pour objectif d’imprimer une cadence aux négociations, en envisageant leurs calendrier, durée et étapes, dans l’objectif d’aboutir dans un temps déterminé – et si possible bref – à un accord (contraignant) de rachat.

 

La principale étape imposée, qui guidera l’ensemble du calendrier, est celle des audits conduits par l’acquéreur potentiel sur la société cible.  Les accords de négociation définissent généralement l’étendue, les dates et les modalités des audits.  Fréquemment, l’acquéreur potentiel fournit aussi sa propre liste de documentation qu’il souhaite revoir pour paramétrer – ou non – une proposition ou une offre.

 

Plus détaillé encore est le calendrier établi dans les procédures d’enchères utilisées par les banques d’affaires pour les ventes concurrentielles de sociétés (plusieurs candidats au rachat d’une société sont maintenus en concurrence dans l’objectif non dissimulé d’obtenir pour le vendeur les meilleures conditions de rachat).  La procédure d’enchères est alors régie par la ou les lettres dites de procédure (ou Process Letters), qui précisent les dates d’ouverture et de fermeture de la Data Room électronique (VDR ou EDR), dans laquelle la documentation sur la société cible est mise à disposition des représentants autorisés des candidats, les dates d’ouverture et de fermeture de la session de questions/réponses au/par le vendeur (Q&A), la date limite pour déposer une offre (accompagnée des exigences de contenu auxquelles l’offre doit satisfaire).  Cette procédure, même si elle est généralement plus étirée que dans un processus non concurrentiel, reste rythmée et permet ainsi d’imposer le même calendrier à l’ensemble des candidats acquéreurs et rendre leurs offres comparables.

 

Certes, ces calendriers et étapes restent indicatifs et non engageants.  Les lettres de procédure émises par les vendeurs (ou leurs conseils), très standardisées, prennent ainsi soin de rappeler, grâce à des formules qui ont fait leur preuve, que la procédure de vente peut être interrompue à tout moment et sans justification.  Mêmes non contraignantes, les lettres de procédures sont généralement assorties d’une date limite pour conclure un accord définitif, légitimant assez aisément que l’une ou l’autre des parties puisse, sans être inquiétée, jeter l’éponge si cette date limite était dépassée.

Imposer des obligations dans le processus de négociation

Les accords de négociation peuvent aussi, avant même que d’entrer dans les détails de l’opération, imposer des obligations, au-delà de celle de bonne foi.  Ainsi, est-il commun d’y trouver les obligations ou contraintes suivantes, estimées salutaires par les parties :

  • Une obligation d’exclusivité à la charge du vendeur lui interdisant, pendant toute la durée des pourparlers fixée entre les parties, de prendre contact, négocier et/ou conclure avec un autre acheteur le rachat de la société. Une telle interdiction, méconnue du Code civil, donne plus d’aisance au potentiel acquéreur d’une société, qui engage des frais importants dans cette phase de négociation.
  • Des obligations de confidentialité à la charge de l’ensemble des parties (c’est même l’objet exclusif ou quasi-exclusif des accords de confidentialité (Non-disclosure Agreement ou NDA)). En effet, si le Code civil, en son article 1112-2, prévoit qu’engage sa responsabilité celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations, il ne définit pas pour autant ce que sont les informations confidentielles, ni n’impose de confidentialité sur l’existence des négociations elles-mêmes, pourtant primordiales dans les négociations de rachat d’entreprises.
  • Une obligation, également primordiale, de non-débauchage et/ou non-sollicitation à la charge du potentiel acquéreur, qui peut avoir accès, durant cette période, aux salariés de la société cible ou des vendeurs (ou à des informations sur ceux-ci).
  • Une répartition des frais engendrés dans la période des négociations (break-up fees), pouvant varier selon la nature des frais (frais d’avocats, de déplacement etc.), de l’issue des négociations et de la partie à l’origine de la rupture.
  • Une clause de droit applicable et d’attribution de juridiction.

Bien entendu, la partie qui ne se comporterait pas de bonne foi (qui, par exemple, romprait brutalement des négociations avancées ou laisserait laisser l’illusion qu’elle souhaite aboutir à un accord, alors même que jamais intention elle n’a eu) ou qui ne respecterait pas les obligations spécifiques contenues dans les accords de négociation pourrait se voir attaquée par l’autre en réparation du préjudice qui en résulterait.

Cristalliser les paramètres d’une future opération

Un autre des objectifs des accords de négociation consiste à dessiner les contours d’une future opération.  De tels contours restent de simples bases de négociations, amenés à évoluer compte tenu notamment des audits et des concessions réciproques de chacune des parties.  Ils permettent néanmoins aux parties de ne s’engouffrer dans une négociation que si ces bases répondent peu ou prou à leurs attentes.

On peut se contenter, comme habituellement dans les lettres d’intention, d’indiquer :

  • Une fourchette de prix ou un prix indicatif et ses modalités de paiement,
  • L’éventualité d’un prix complémentaire (earn out),
  • Quelques-unes des caractéristiques de la garantie dite de passif (généralement, plafond, durée et garantie de cette garantie),
  • Les conditions essentielles du rachat : conditions suspensives nécessaires (autorisation administrative) ou souhaitées (obtention d’un financement), conditions concernant l’accompagnement par le vendeur.

Mais, les parties peuvent aussi aller au-delà et détailler plus précisément les modalités et conditions des futurs accords de rachat.  L’outil le plus adapté, et adopté par la pratique pour ce faire, est la feuille de route (Term Sheet), qui résume dans un tableau récapitulant en des termes laconiques les modalités et conditions des accord, qui seront formulés plus précisément, et juridiquement, dans les accords définitifs.  L’essentiel, si l’on désire qu’ils restent de simples accords de négociation, est alors de préciser que l’accord ne reflète que l’intention des parties à la date de sa rédaction et qu’il devra, pour emporter valeur contraignante, être intégré dans des accords définitifs.  

On le comprend, quel que soit l’outil utilisé pour contractualiser les pourparlers et quels que soient les objectifs poursuivis, il s’agira de rédiger les accords de négociation de manière à assurer le juste équilibre entre, d’une part, absence de valeur contraignante pour le rachat et, d’autre part, valeur contraignante de certaines clauses essentielles et précisions sur les modalités de rachat.  C’est en préservant cet équilibre dans une rédaction soignée de ces accords que seront jetées des bases saines pour une négociation saine et bien conduite. 

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